Notes ANTONIONI
Notes Antonioni
L’ « événement » et l’image (1963)
p.61
« Voir » pour un cinéaste « est une nécessité. Pour un peintre aussi le problème est de voir. Mais alors que pour le peintre il s’agit de découvrir une réalité statique, ou même un rythme si l’on veut, mais un rythme qui serait figé dans le signe, pour le réalisateur le problème est de saisir une réalité qui mûrit et se consume, et de proposer ce mouvement, cet aller et ce continuer, comme une perception nouvelle. Ce n’est pas du son : parole, bruit, musique. Ce n’est pas de l’image : paysage, attitude, geste. Mais un tout indivisible étiré dans une durée qui lui est propre, et le pénètre et en détermine l’essence même. Voici qu’entre en jeu la dimension du temps, selon sa conception la plus moderne. C’est dans cet ordre d’intuition que le cinéma peut acquérir une nouvelle physionomie, qui ne soit plus seulement figurative. Les personnes que nous approchons, les lieux que nous visitons, les faits auxquels nous assistons : ce sont les rapports spatiaux et temporels que toutes ces choses entretiennent les unes avec les autres, c’est la tension qui naît entre elles, qui ont aujourd’hui un sens pour nous. »
Ce sont les films qui font l’histoire du cinéma (1979)
p.130
« En parlant de Il Deserto rosso, vous avez dit un jour : « si l’autobiographie existe encore aujourd’hui, c’est dans la couleur qu’on peut la trouver ». Pourriez-vous clarifier le sens de cette assertion ? »
« Je vous donne l’exemple d’un entretien que j’ai eu récemment avec quelqu’un. Qu’y avait-il derrière cette personne au moment où nous parlions ? Un mur ? Un rideau ? Un tableau ? De quelle couleur étaient-ils ? Si j’essaie de me remémorer tout cela, je ne vois pas des images et des couleurs nettes et précises comme on voit au cinéma dans les flash-back. Il s’agit d’inventer la déformation de la mémoire. C’est dans ce sens que je disais qu’on fait de l’autobiographie en racontant les couleurs de sa vie, et non pas seulement les événements. »
Le monde est de l’autre côté de la vitre (1975)
p.93
« L’acteur, je ne me lasserais jamais de le répéter, n’est que l’un des éléments de l’image, souvent pas même le plus important, et moi je dois donner au plan une certaine valeur au moyen des éléments qui le composent. L’acteur l’ignore, cette valeur, et c’est mon affaire si je le mets d’un côté ou de l’autre. C’est à moi de voir le film dans son unité. »
Préface pour sei film (1964)
p.231
« Je crois que tous les réalisateurs ont en commun cette habitude de garder un œil ouvert au-dedans de soi et un autre au-dehors. A un moment donné les deux visions convergent puis, comme deux images qui seraient mises au point, finissent par se superposer. C’est de cet accord entre œil et cerveau, entre œil et instinct, entre œil et conscience que surgit l’impulsion du parler, du montrer. »
M.A. discute de Professione : reporter (1975)
p.300
« J’avais déjà la séquence finale en tête dès que j’ai commencé à tourner. Je savais, naturellement, que mon héros devait mourir, mais l’idée de le voir mourir me déplaisait. Alors j’ai pensé à une fenêtre et à ce qui était à l’extérieur, au soleil de l’après-midi. Pendant une seconde – juste une fraction de seconde- Hemingway me vint à l’esprit : « mort dans l’après-midi ». Et l’arène. »
p.301
« Vous voyez la fille dehors, vous voyez ses mouvements et vous comprenez très bien sans vous rapprocher d’elle ce qu’elle est en train de faire, peut être même ce qu’elle est en train de penser. Vous voyez, j’utilise cette très longe prise comme des gros plans, cette prise, au fond, remplace le gros plan. »
p.302
« Un film est à la fois des images et des sons. Qu’est-ce qui est le plus important des deux ? Je les mets tous deux sur le même plan. Ici j’ai utilisé le son parce que je ne pouvais pas éviter de suivre le héros – je ne pouvais pas éviter d’entendre les sons liés à son assassinat puisque Locke, l’assassin, et la caméra, étaient dans la même pièce. »
Vous êtes un metteur en scène et vous faites des images, et pourtant je trouve que dans vos films les personnages-clé ont des problèmes avec la vision –ils essaient de trouver des choses ou ils ont perdu quelque chose. Comme le photographe dans BU qui essaie de trouver la réalité dans son travail. En tant que réalisateur vous sentez-vous frustrer par le médium qu’est le cinéma et qui ne vous permet pas de trouver la réalité ?
« Oui et non. D’une certaine façon je capture le réel quand je fais un film – tout au moins j’ai entre les mains quelque chose de concret. Ce à quoi je suis confronté n’est peut être pas la réalité que je cherchais, mais j’ai trouvé quelqu’un ou quelque chose à chaque fois. J’ai ajouté quelque chose à ce que je suis en tournant un film. »
L’expérience américaine (1969)
p. 266
Susan Sontag Contre l’interprétation
« Lorsque j’entends faire la distinction entre la forme et un certain contenu, je reste donc un peu perplexe, parce que je en sais pas dans qu’elle mesure, dans BU, on peut considérer la forme comme la substance du film. Puisque le film traite des rapports entre un individu et la réalité, il est bien évident que cette réalité doit avoir un certain aspect, une représentation : c’est la forme…
C’est justement la façon d’aborder la réalité en terme d’art…
Oui, et à plus forte raison dans ce film où il y a un personnage qui voit ou ne voit pas la réalité ; la chose se matérialise donc en une « forme », une image, et c’est cela le film, la substance du film. »
p.270
A propos de Kafka qui disait de s’enfermer dans une chambre pour créer :
« Je crois maintenant que quelqu’un qui travaille dans le domaine de la création, s’il veut être utile à lui-même, doit regarder au-dehors, descendre dans la rue, se confondre avec le reste du monde. »
Entretien avec Michelangelo Antonioni (1985)
p.174
« Dans mes films, je ne démontre pas de thèse, je montre des histoires ; la signification de ces histoires et quelque chose qui vient après, à la fin du film. »
De quoi parlez-vous quand vous faites un film ?
« De l’observation de la réalité. Cette observation devient une sorte de nourriture de l’esprit, de l’imagination. Créer une œuvre, ce n’est pas inventer quelque chose qui n’existe pas, mais c’est transformer ce qui existe selon sa propre nature, son style personnel. »
Ce sont les films qui font l’histoire du cinéma (1979)
p.135
« J’essaie de « montrer » des histoires, et en les montrant je les raconte. »
« Blow up est un film qui se prête à bien des interprétations, précisément parce qu’il s’inspire de la problématique de l’apparence du réel. »
p.135/136
« Je ne dirais pas que l’apparence du réel soit l’équivalent du réel, parce que les apparences peuvent être multiples. Les réalités aussi peuvent être multiples, mais cela je l’ignore, et je ne le crois pas. Le réel est peut être un rapport. »
p.138/139
« On m’a souvent traité de formaliste. J’ai toujours soigné la forme, je ne puis le nier ; mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il faudrait ne pas le faire. Si on déplace un objet dans une image, ce n’est pas seulement une question de forme, c’est une question plus subtile qui investit le rapport des choses avec ce qui les entoure, avec le monde. Le monde est un concept toujours présent dans une image : le monde de toutes les choses que l’on voit, et celui de tous ce qui est au-delà. »
p.139
« Le cinéma est une synthèse mnémonique, qui présuppose toujours chez le spectateur le souvenir de ce qui n’est pas sur l’écran, ou de ce qui est advenu avant, et de tous les développements possibles d’une situation présente. Voilà pourquoi la meilleure façon de regarder un film est de faire en sorte qu’il devienne une expérience personnelle. Lorsqu’on regarde un film, on évoque inconsciemment ce qu’il y a au-dedans de nous, notre vie, nos joies, nos souffrances, nos pensées. Nos « visions mentales du présent et du passé » comme dirait Susan Sontag. »
Michelangelo Antonioni, Dix questions à M.A. (1985), Conférence de presse, Paris, 27 mars 1985, in Ecrits, p.170.
« Tous les films de fiction sont plus ou moins documentaires. Par la caméra, lorsque le film est contemporain ».
Michelangelo Antonioni, Identification d’un cinéaste (1985), Entretien avec Sophie Lannes et Philippe Meyer, L’Express, 9-15 août 1985, in Ecrits, p.186.
Technique du regard :
« Elle consiste à aller du détail à l’ensemble. A partir de détails qui me frappent, je remonte vers des situations d’ensemble. Quand, dans un lieu, un cadre, quelque chose me plaît, il me vient immédiatement à l’idée d’y inscrire des personnages en situation. »